La Château de la Planque

Le texte ci-dessous est extrait de la publication « Etude et Sauvegarde des Maisons et Paysages, de la nature et de l’Environnement du Rouergue » qui date de 1995. Il est retranscrit tel que l’a écrit Jean DELMAS, Fondateur du Musée du Rouergue.

Le domaine de La Planque nous est connu depuis au moins le début du XVe siècle. Bertrand Marty ou Martini en était propriétaire. Son fils Antoine, époux de Rica Brenguieyra, sans doute de la famille des Brenguier de Malemort (aujourd’hui Villelongue), eut deux fils, l’un damoiseau de Jalenques (commune de Quins) et l’autre habitant de la Planque. Mais ces derniers n’eurent probablement pas de descendance, en tous cas, à la Planque. C’est Héléna, sœur d’Antoine, épouse d’un Garnier, qui hérita du domaine. Leur fils fut prénommé Aymeric, comme le malheureux Aymeric Brenguier, dont la mort en 1332 avait mis en émoi toute la ville de Toulouse. On dit que l’oratoire de Gramond aurait été élevé à sa mémoire. Les Granier s’intitulaient seigneurs de la Planque.

On conserve de noble Gabriel Garnier (vers 1504-1552), un livre de raison, écrit en langue d’oc, dans lequel il a noté par le menu tous ses frais d’exploitation. Ainsi, en 1549, il acheta à un certain Cayssials hun buou roge et hun brau (un bœuf rouge et un taurillon) pour le prix de 9 écus. Mais, selon l’habitude de nos ancêtres, peu pourvus en numéraire, il les bailla aussitôt à cabal (à cheptel), tout en sachant que le taurillon n’était pas en âge de porter le joug. Un jour peut-être quelqu’un aura la patience d’étudier ce document de lecture difficile, mais si riche d’informations sur la vie rurale du Ségala. Voici encore un inventaire d’outils prêtés par Bertrandou : « hun tarayre, una taravela, una doladoyra, dos cunhs defer, un sisel… una pigassa granda, una forca de fer », etc. (une tarière, une petite tarière, une doloire, une grande hache, une fourche de fer). Un jour il acheta du damas blanc à un marchand de Clermont d’Auvergne, pour faire des vêtements. Un autre jour, il note la recette d’un enguen per la camba (un onguent pour les jambes) ou le charme de las galinas (le charme des poules) pour les protéger de la dent des renards et autres bêtes sauvages. Gabriel Garnier fit un fort curieux testament en 1567, le 26 février. Il demandait d’être enseveli dans la chapelle Saint-Georges de l’église de Pradinas, au tombeau de ses prédécesseurs et ordonnait qu’une aumône fut distribuée à « deux cens pouvres cogneus et veuves notoirement pouvres ».

Après Gabriel Garbier, la Planque passa à un membre de la noble famille de Solages, Louis, mari de sa petite-fille Guillote Azemar, et à la fille de ceux-ci, Anne, qui épousa Marc-Antoine Du Lac. La petite-fille de ces derniers, prénommée Anne également, épousa Jacques de Raffin de La Raffinie. C’est peut-être lui qui tint à son tour un livre de raison dont nous avons quelques années (1671-1680). Jean, Philippe, Victor de La Raffinie épousa vers 1777 Marie-Foy de Morlhon, de la branche de La Salvetat, parente ou alliée des Manzon et de la famille de Séguret, dont les noms sont liés à l’Affaire Fualdes.

C’est par le mariage de Louis Rogery, d’Espeillac, avec Eléonore de Morlhon, que les Rogery arrivèrent à la Planque. Marie-Louis Rogery, leur fils, fut maire de Pradinas et conseiller général de l’Aveyron. Il décéda à La Planque, le 8 janvier 1864. L’une de ses filles, Marie Stella, avait épousé en 1860 Camille Rouge (1828-1887), qui fut député de l’Aveyron (élu en 1877) et conseiller général. On conserve la correspondance adressée par Stella à sa mère entre 1866 et 1883, précieuse chronique de la vie d’un parlementaire provincial à Paris (1877 et 1883). Ils eurent un fils, Gaston, avocat (1862-1938), lui-même député de l’Aveyron et conseiller général. Gaston fut brillamment élu député en 1889, à la mort de son père. Il avait épousé en 1888, Mlle Laroche-Joubert, fille d’un député de la Charente. La tradition a conservé le souvenir de ses grandes joutes avec Caussanel, épicier et négociant en vin de Sauveterre, qui l’emporta finalement aux élections de 1893. Mais Gaston fut réélu en 1919. Il « prit part activement aux travaux des commissions des travaux publics et moyens de communication, des marchés de la guerre, des boissons, témoignant d’un sens social particulièrement clairvoyant » (Dictionnaire des parlementaires français, t. VIII, 1977).

En 1920, Gaston Roques fut adopté par sa tante Rogery, dont désormais il porta aussi le nom. Il mourut à La Planque en 1938. La famille habite toujours La Planque, continuant une tradition familiale vieille de plus de six siècles.

M. Gérard Roques-Rogery a déposé aux Archives départementales de l’Aveyron ses archives familiales. Celles-ci remontent pour la Planque à 1515 et comprennent l’intéressant chartrier de la famille d’Agens de Loupiac, de la région de La Fouillade (1333-1779), ainsi que des papiers des Morlhon de La Salvetat (1561-1780) et de Jean-Joseph Galtier, médecin de Roussennac (1808-1854). Les papiers de ce dernier sont d’un grand intérêt : ils sont en effet constitués par les livres-journaux qui reflètent la pratique médicale en milieu rural (région de Montbazens-Rignac) entre 1808 et 1825. La tradition familiale de la Planque a permis la conservation de précieux témoins de la vie du Rouergue, qui, je l’espère, inspireront des historiens.

Comme tout domaine organisé, celui de La Planque fit l’objet d’aménagements et de travaux. Les archives permettent de voir leur évolution. II y avait par exemple à la Planque une chapelle domestique dont Mgr de Saléon avait constaté l’existence en 1739. Mgr. de Ramond-Lalande, évêque de Rodez, autorisa la restauration du culte en 1826. Un ami de Madame Rogery, le fameux abbé Jany, curé d’Aubin, qui mourut en odeur de sainteté et dont la tombe est encore à Aubin, le but d’un petit pèlerinage, fut autorisé à y confesser (1838). Il faut donc comprendre qu’il y faisait des séjours. Les Rogery entreprirent des travaux de rénovation de la chapelle en 1841. Le curé de Pradinas, l’abbé Chinchole, offrit un chemin de croix. Le service était assuré par le vicaire de Pradinas, une fois par mois ou un peu plus. Mme Rogery, mue par sa piété, constitua une petite bibliothèque attachée à la chapelle. On y trouvait un Ordo du diocèse de Rodez de 1600, des heures de 1728 et 1753, des bréviaires de 1678 et 1730 et de nombreux autres ouvrages de piété et de méditation, qui laissent supposer qu’elle venait souvent lire et se recueillir en ce lieu.

Nous avons de Madame de Rogery et de Madame Roques sa fille la comptabilité de la maison entre 1855 et 1871. Elle prolonge ce qui figure dans les anciens livres de raison. On trouve ainsi des comptes de boulangerie (le fournisseur était un certain Delpech, boulanger à Villefranche), la confection de robes par Mme Mahoux, la femme du sculpteur-marbrier de Rodez bien connu, des ouvrages de bourrellerie faits par Bessière, ou par Alexandre Condamines, sellier-carrossier à Rodez, la fourniture d’outils agricoles par Charles Fastre de Pradinas, l’achat de crottin à la brigade de gendarmerie de Rieupeyroux (1871), la plantation de plantes d’ornement ou de potager : lierre d’Irlande, pensées, héliotropes, pétunias, géraniums, sauges, tomates ou asperges (1870). On trouve encore, avec surprise, l’achat de denrées au futur adversaire politique, Charles Caussanel, etc. Là aussi, l’historien de la vie quotidienne en Rouergue découvrira une ample et passionnante matière. Quelques-uns des objets mentionnés dans ces archives et heureusement conservés, ont trouvé place au Musée des Traditions agricoles du Ségala, à Pradinas, enrichissant notre mémoire et notre culture commune.

Jean DELMAS