Jean-Claude Peyrot

(1709-1795)

Premières années : Jean-Claude Peyrot est le fils de Claude Peyrot, habitant de Millau, et de Claudine Matheron. Il est né à Millau le 3 septembre 1709.
Les Peyrot étaient originaires du Gévaudan. Ils étaient descendus à Millau au début du XVIIe siècle et avaient prospéré dans le commerce. Ils feront bientôt partie des notables de la cité puisqu'en un siècle on les retrouvera une trentaine de fois dans les charges consulaires.
La première éducation de Jean-Claude est confiée aux Pères Carmes de la ville. On signale ses bonnes dispositions d'enfant à l’égard des pauvres. Un jour, ayant six sous en poche et rencontrant une pauvresse avec son enfant, il leur remit tout son trésor. Son père l'en félicita et pour l'encourager quadrupla son avoir. Ses études se poursuivent à Toulouse chez les Jésuites. Il étudie spécialement le droit et obtient sa licence.

C’est seulement alors qu'il s'oriente vers le service clérical et entre au séminaire. Il est ordonné prêtre le 22 décembre 1736. Il a donc déjà 27 ans. Il est alors nommé membre collégial de l'ancienne abbaye de Saint-Sernin de Toulouse. Il y restera jusqu'en 1748.

Dès cette époque, disposant sans doute de bons loisirs pour se cultiver, il s'exerce avec de très belles dispositions dans l'art poétique et musical, car il est aussi bon musicien que poète.
L’Académie des Jeux Floraux de Toulouse remarque et couronne plusieurs de ses sonnets. Ce sont des pièces en français dans le style ampoulé de l’époque.

Prieur à Pradinas

1748 est une grande date dans la vie de Claude Peyrot. Cette année-là, Jean Peyrot de Courtines, son oncle prêtre, renonce à sa charge de prieur à Pradinas et la lui cède. Il a donc 39 ans lorsqu’il devient prieur de Pradinas. Il faut dire pour être plus précis, prieur-curé, c’est-à-dire ayant effectivement la charge du ministère paroissial avec l’aide d’un vicaire. Voilà qui va le changer considérablement de la compagnie des chanoines de Saint-Sernin.
A Pradinas, il va passer 17 ans, jusqu’en 1765, année où à son tour il cède cette charge à son frère plus jeune Alexandre. Lui se retire alors dans sa chère petite patrie de Millau. Il n’a encore que 56 ans. Voilà un sage qui peut espérer profiter, s’il plaît à Dieu, d’une bonne et longue retraite.

Le bon peuple de Pradinas

Mais restons à Pradinas et essayons de nous faire une idée de l’état des lieux à cette époque. Pour notre bonheur, en 1771, six ans après le départ de Jean-Claude, son frère Alexandre aura à répondre au questionnaire que Mgr Jérôme-Marie Champion de Cicé, évêque de Rodez, a envoyé à toutes les communautés paroissiales. Dans les réponses d’Alexandre, nous cueillons de précieux renseignements.
Noble Jacques de la Raffinie, de La Planque, est seigneur de Pradinas ou il lève les droits de champart, de censive, et la banalité sur le moulin.
Le prieur-curé de Pradinas perçoit les dîmes sur les villages de sa paroisse, à l’exception d’un sur lequel le prieur-curé de Castelnau-Peyrales exerce ce droit. La paroisse compte 795 habitants dont 187 sont habitants du bourg, les autres étant répartis en 19 villages. Deux prêtres le secondent sur la paroisse, l’un comme vicaire, l’autre comme prêtre obituaire.

II n’y a malheureusement dans cette paroisse ni hôpital pour les malades, ni fonds de secours pour les pauvres, ni maître ou maîtresse d’école, ni chirurgien-médecin, ni sage-femme, au détriment de l’humanité.
Des pauvres ? Ah oui ! ils sont nombreux ! Peu d’invalides heureusement. Peu qui n’ayent quelque petite ressource, mais la moitié auraient besoin d’être soulagés en partie pour vivre et couper court aux friponeries.
Il y a environ quarante ou cinquante mendiants paroissiens.
Il n’y a guère comme cultures que le seigle, l’avoine, et quelque peu de bled sarasin.
Cette paroisse manque grandement de pâturages et de bestiaux. Et il seroit à souhaiter qu’on semât du sparset qui fait un très bon fourrage et qu’on ne connoît guère encore que du côté de Millau.
En complément, il n’y a d’autre ressource que la châtaigne, qui véritablement fait la principale récolte…
Y a-t-il de l’industrie ? demande Monseigneur. Il y a un assés grand nombre de tisserans qui travaillent leurs toiles ou celles du pays, 3 charrons, 2 forgerons, 3 ou 4 tailleurs d’habits, quelque mauvais maçon.
Oui, oui, l’église est en assez bon état et il y a ce qu’il faut comme vases, livres et ornements. Le service s’y fait-il avec décence ? Bien sûr, Monseigneur, et même, dirai-je, au-delà de ce qu’on fait ordinairement dans les campagnes. Petit cocorico bien mérité !
Et nos paroissiens sont-ils assidus ? Oui, assez, quoique… ils ne le sont pas tant aux instructions… surtout les hommes…
Ah ! ces Pradinassols ! En somme, pas de mauvais diables, tant s’en faut, surtout si on sait se mettre à leur place. Voilà donc le peuple qui fut confié à la sollicitude de Claude Peyrot de 1748 à 1765.

Claude Peyrot à Pradinas : Qu’a-t-il fait à Pradinas ? Il s’est d’abord très bien occupé de sa paroisse. Il a transmis à ses paroissiens son goût pour le beau chant liturgique et il les y a formés peu à peu. Les visiteurs sont surpris. L’évêque de Rodez, Mgr de Grimaldi, l’est vivement et il le lui dit en ne ménageant pas ses félicitations. Nous venons de noter, ci-dessus, la réponse fiérote d’Alexandre, au sujet de la décence des cérémonies.
Il circule beaucoup, regarde, écoute, se réapproprie fortement la langue d’oc, parlée partout et en toute occasion.
En poète, il sait voir les choses. La campagne est belle autour de Pradinas sur ce versant du Ségala, tourné vers le soleil, depuis l’arête sommitale jusqu’aux eaux vives du Lézert. Il n’y est pas insensible. Il engrange.
Et déjà il écrit. On nous dit qu’il aimait bien, aux beaux jours, se retirer au fond de l’enclos du presbytère, dans une sorte de petit oratoire, heureusement conservé et même restauré. Là il trouve la paix et l’inspiration. Apparemment ce n’était pas les premiers vers patois venus de sa plume. Nous avons de lui une poésie patoise, intitulée Lo rei recombalit, dans laquelle il se félicite de voir le roi Louis XV, le Bien-Aimé, revenu à la santé. Ce devait donc être en 1744, quatre ans avant son arrivée à Pradinas. Dans cette pièce, il s’exprime en 140 vers vigoureux, pleins de vie, de verve, dans une versification facile, coulante, un vocabulaire riche, exact. Ce n’est pas une poésie poétique, musicale avec du non-dit, du suggéré, du rêve… C’est une poésie qui conte, qui raconte, qui détaille, une poésie anecdotique et didactique, et c’est déjà tout Peyrot.
Retiré à Millau, il publie dès 1774, soit neuf ans après son départ, un recueil qui s’intitule Poésies diverses patoises et françaises. Une partie de ces poésies avait été écrite à Pradinas.

Espace PEYROT à Pradinas

Claude Peyrot retiré à Millau

Désormais, depuis 1765, Claude Peyrot est de retour à Millau où il vit dans la compagnie des prêtres de Notre-Dame. Il en sera ainsi jusqu’à la Révolution.
Et voilà que s’établit entre lui et M. Jean Despradels d’Allaret une vive sympathie. M. Despradels est un Millavois, né en 1728, propriétaire du domaine de la Rode. C’est un agronome éclairé. Il a introduit sur ses terres et dans le pays des cultures nouvelles, en particulier l’esparcet et las entrefegas. L’esparcet, popularisé depuis Olivier de Serres, est connu aujourd’hui sous le nom de trèfle sainfoin. Quant aux entrefegas c’est tout simplement le nom qui désigne les pommes de terre dans certaines régions influencées par le parler cévenol. En Ségala, ce sera los patanons, mais à l’époque, on le voit à la réponse d’Alexandre, elles n’y sont pas encore connues, pas plus que l’esparcet.
M. Despradels connaît les talents de Peyrot. Il le pousse à écrire un long poème sur le thème des travaux des jours et des saisons. En somme, écrire en patois ce que d’autres venaient de faire paraître en français. Despradels, en effet, en homme lettré et ouvert, suivait bien le mouvement littéraire de son temps. Or, en 1769, le Lorrain Saint-Lambert (1716-1803) avait fait éclore Les Saisons. Et en 1770, l’abbé Jacques Delille (1738-1813), Auvergnat né à Aigueperse, avait lancé dans le public Les Géorgiques, une traduction de l’œuvre de Virgile, et s’était ainsi acquis la renommée de Virgile français. Cela lui ouvrira les portes de l’Académie Française.
Un des grands inspirateurs de ce temps avait été le poète anglais James Thomson (1700-1748), dont le poème The Seasons, paru en 1730, avait été admiré et abondamment commenté par les revues littéraires. Tout cela n’avait pas échappé à l’attention de notre poète Claude Peyrot.
Il y avait donc pour l’instant toute l’insistance amicale de M. Jean Despradels. Il pensait qu’une œuvre neuve, de création, dans la langue maternelle, était à même d’élever le niveau culturel des hommes de la terre et de les acheminer ainsi sur le sentier du progrès.
C’est bien par amitié, plus que par conviction, que Claude Peyrot veut bien essayer. Il essaie donc et écrit un premier chant qu’il appelle Lo Primo rouergasso. Tout naturellement, il le dédie à son ami. Mais, parvenu au bout de ses 456 vers, notre homme pose la plume. Il se dit qu’il a fait son devoir : il n’ira pas plus loin.

          Avèm fach pro besonha : es temps de se pausar.

          Siòi content, Despradels, se to pòt amusar…

Point final.

Et voilà donc ce qui paraît en 1774 sous le titre Poésies diverses patoises et françaises. La Primo rouergasso en est le morceau de choix, mais bien d’autres pièces de circonstance l’accompagnent.

Statue consacrée à Peyrot à la gare de Millau

Sur le métier remettez votre ouvrage

Claude Peyrot s’était bien promis de jouir tranquillement de sa retraite à présent. Oui, mais c’était sans compter avec les sollicitations pressantes de ses amis. Parmi elles, il en est une qui fut déterminante. Mgr Jérôme Champion de Cicé, en visite à Millau, lui dit : Mon cher ami, vous avez trop bien commencé pour vous arrêter en si bon chemin. Nous attendons la suite…

Et la suite vint en effet et ce fut Los Catre Sasous ou los Geourgicos potuosos. Ce poème en quatre chants fut publié en 1781. Pour ce faire, il a repris La Primo avec quelques modifications et l’a complétée avec les trois chants sur les autres saisons. C’est un bel ensemble qui fait 2 124 vers. Il a alors 70 ans.
A présent, il écrira encore quelques poèmes de circonstance, et presque toujours en oc. Comme beaucoup qui étaient proches du peuple, il accueillera la Révolution comme un bel espoir d’une meilleure justice pour tous. Mais bientôt, devant les excès, ses espoirs sombreront dans les pires alarmes.
Il s’était alors retiré à Pailhas, chez son ami François Hugla. Il y mourut le 3 avril 1795. Il avait 86 ans.
Sa sépulture se fit dans le vieux cimetière d’alors, lequel a été transformé en place publique, de sorte que la tombe de notre poète est désormais inconnue.

Rayonnement de l’œuvre de Peyrot

L’œuvre de Peyrot a connu plusieurs éditions revues et complétées. L’on peut affirmer que dès sa parution, le poème des Quatre Saisons eut un réel succès. A Paris même, en 1782, Le Mercure de France lui décernait de beaux éloges : Les semailles, la taille, des arbres, leurs maladies, les vendanges, les moissons, tout cela est dépeint avec une vérité, un naturel, une naïveté même, qui ne peut appartenir qu’a un homme qui est, comme lui, sur les lieux…

Quelques remarques cependant pour tempérer l’éloge : Le défaut de M. de Pradinas est de s’appesantir un peu trop sur les petits objets, et de développer ce qui ne doit être qu’indiqué…

Nous avons déjà noté pour notre part que la poésie de Peyrot se veut intentionnellement descriptive et didactique. C’est son choix et cela se respecte.

Nous le verrons, son vocabulaire est bon et parfois excellent. Mais on a le regret d’y relever parfois quelques francismes surprenants, parfaitement évitables

GRELH ROERGAS